Les pères de trois enfants n’ont pas dit leur dernier mot depuis la réforme des retraites de 2010 et les arrêts du Conseil d’Etat. Début 2012, la France a réussi à dessaisir provisoirement la Cour de Justice Européenne de Luxembourg à quelques mois d’une possible condamnation pour discrimination indirecte. Mais un nouveau renvoi préjudiciel a été ordonné cette fois par la Cour Administrative d’Appel de LYON, et rend la menace de condamnation par la Cour de Strasbourg pour violation du procès équitable particulièrement sérieuse. Il est grand temps que le législateur issu des élections de 2012 prenne le problème à bras le corps, et mette le système à plat pour s’attaquer à la véritable source discriminatoire sur les retraites : Les salaires et certaines règles de calcul des retraites, en particulier le temps partiel.

Depuis un arrêt D’AMATO et autres du Conseil d’Etat du 29.12.2004, la cause des pères de trois enfants pour leur bonification/majoration pour enfants ou leur retraite anticipée semblait définitivement perdue. Ils avaient beau invoquer la discrimination indirecte de la réforme des retraites de 2003, qui a remplacé l’expression « femmes fonctionnaires » par « fonctionnaires parents d’enfants ayant interrompu leur activité pendant au moins deux mois à la naissance de chacun de leur enfant », les tribunaux administratifs (envahis par de multiples procédures) et le Conseil d’Etat rejetaient inlassablement leur recours.

Pourtant, de nombreux spécialistes s’accordaient à dire que la France contournait la jurisprudence GRIESMAR de la Cour de Justice Européenne de 2001 par le maintien de « mesures apparemment neutres mais en pratique contraires au principe d’égalité européen », comme le soulignait la HALDE en 2005 pour le régime des fonctionnaires ou en 2008 pour le régime général des salariés, à l’instar de la commission européenne qui ouvrait dès 2004 une procédure d’infraction contre la France.

Quelques pères de famille ont alors introduit des recours spécifiques qui ont convaincu un tribunal administratif de La Réunion à saisir la Cour de Luxembourg à la place du Conseil d’Etat en novembre 2010, en même temps que la réforme des retraites WOERTH procédait à un « assouplissement » par voie d’amendements dicté par la menace de poursuites de la commission du Bruxelles*.

Alors que la Cour de Justice Européenne allait rendre son arrêt après les plaidoiries de septembre 2011, le défendeur, qui n’est autre que le Ministre de la Justice attaqué pour violation des Traités communautaires par le Conseil d’Etat lui-même, a obtenu en appel à Bordeaux que cette Cour de Luxembourg soit dessaisie in extremis en 2012, mais elle a de nouveau été saisie par la Cour Administrative d’Appel de LYON malgré les résistances du Conseil d’Etat.

Les plaignants sont des hommes et quelques femmes « victimes collatérales » des lois rétroactives prises entre 2003 et 2009) défendus notamment par un avocat lyonnais:

- Jeanne CALMETTE s’est vue refuser son départ en pré-retraite comme fonctionnaire mère de 4 enfants parce-que le premier est décédé d’un accident de trajet avant ses 9 ans révolus, et parce-qu’elle n’a pas pris de congé lors de l’adoption de l’enfant de son conjoint remarié, (Elle a perdu au tribunal administratif et n’a pas eu les moyens de tenter sa chance au Conseil d’Etat), - Denis BEAUMETTE est enseignant, il a pris trois congés à mi-temps pour ses quatre enfants, mais sa demande est rejetée parce-que l’un des trois congés était pris « sur autorisation » et non dans le cadre du congé parental, alors que sa femme enseignante aussi est partie en pré-retraite « comme une lettre à la poste » grâce à ses congés maternité, - Jacques FINESHERBES est salarié du secteur bancaire privé, veuf après le décès de son épouse pour un cancer, mais sa demande de majorations pour enfants est rejetée car s’il a « élevé seul ses enfants » comme le prévoit la loi de finance de la sécurité sociale du 24.12.2009, leur mère est décédée après leur 4 ans révolus ! (Il a perdu au tribunal de sécurité sociale en 2011, et attends l’audience en appel fixée à 2015 !), - Messieurs ALAMO et AMEDO sont des pères de famille qui, avec leurs épouses aux carrières quasi-inexistantes, demandent aux tribunaux que la bonification pour leurs 4 enfants soit versée sur la pension du mari comme s’ils étaient une femme sur laquelle ils vivent sans que les lois rétroactives et indirectement discriminatoires leur soient appliquées en pénalisant leur retraite de 10%, et poursuivent l’Etat depuis 2003.

La défense de ces travailleurs (hommes, femmes et couples) indique que si le Conseil d’Etat s’obstine à refuser de saisir la Cour de Justice Européenne de Luxembourg, c’est la Justice européenne des droits de l’Homme de Strasbourg qui sanctionnera la France pour violation du procès équitable comme en 2010, ce qui menacerait l’institution du Conseil d’Etat dans sa forme actuelle puisqu’il cumule les fonctions de conseiller du Gouvernement et celle de Juge suprême administratif**.

La cause des pères de famille peut apparaître comme opposée à celle des femmes pour leur retraite. Les intéressés s’opposent à cette vision simpliste de « guerre des sexes » artificiellement clivée. Ironie de l’histoire : Grace aux menaces de condamnation par Bruxelles ou Luxembourg qui planent encore sur la France, leur cause rejoint finalement celle de l’égalité des droits des femmes, pour supprimer toutes les discriminations qu’elles subissent pendant leur carrière pour des salaires égaux et la parité des carrières par opposition aux mesures de compensation lors de la retraite***. Ils ont déjà écrit au nouveau président de la République et au gouvernement pour réformer cette Injustice de la précédente majorité.

Ils rappellent :

- Que la faiblesse statistique des retraites des femmes est d’abord la conséquence de leurs salaires réduits dans le privé, et des modalités de calcul de leur retraite où le temps partiel demeure pénalisé, ce qui est encore en soi une discrimination à l’encontre des femmes, - Que la pension des hommes représente encore souvent la seule pension des couples, puis des veuves, et que leurs conjoints en profitent moins longtemps par leur « mortalité plus jeune », - Que le COR et la HALDE ont préconisé la mise à plat des divers avantages familiaux qui s’empilent sans cohérence et dont le maintien au gré des réformes imposées par la jurisprudence et la commission européenne expose la France à une nouvelle condamnation, - Que le maintien d’un système basique de mesures de compensation directement ou indirectement réservées aux femmes est contraire aux principes européens d’Egalité et de non-discrimination, et expose la France à voir ses mesures anéanties rétroactivement, sans avoir préparé d’alternative cohérente, avec un alignement imposé au profit des hommes et un surcoût significatif infligé a posteriori.

  • Mr Georges TRON : « Cependant, cette nouvelle version du dispositif a également été jugée incompatible avec la réglementation européenne. Je tiens à insister sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs, car, si nous n’y prenons garde, c’est l’ensemble des dispositifs de bonification qui pourraient être remis en cause (…) Nous proposons un mouvement de modification de la règle des quinze ans et trois enfants afin de sécuriser, dans nos négociations avec la commission (européenne) l’ensemble du dispositif des bonifications pour les mères de famille » Séance du Sénat du 15.10.2010 sur l’examen de l’article 23 du projet de loi WOERTH.
    • la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg a déjà condamné la France face à un père écarté de la retraite comme parent de trois enfants par une loi rétroactive dans une affaire JAVAUGUE du 11.02.2010.
      • Notamment : Rapport ZIMMERMANN n°2762 du 13.07.2010 de la Délégation aux Droits des Femmes de l’Assemblée Nationale « La réforme des retraite va pénaliser les femmes », Nouvel Observateur du 21.09.2010 ; « La question des femmes fait bafouiller l’U.M.P. » Le Point du 22.09.2010 ; « Retraites : une réforme qui lèse les femmes », Le Monde du 08.09.2010 ; « Les femmes : grandes perdantes de la réforme des retraites », Notre Temps du 27.08.2010 ; « Retraites des femmes : le laboratoire de l’Egalité monte au créneau », dans maviepro.fr.

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Maître Bertrand MADIGNIER, Avocat au Barreau de LYON Tel : 04.78.26.42.02 / Fax : 04.72.81.88.62 Mail : bmadignier@mo-avocats.fr www.mo-avocats.fr (voir Dossiers : « Retraite fonctionnaires » et « Retraite régime général – Majorations pour enfants »).